La Chambre des communes se prononcera sous peu sur le projet de loi S-211, qui vise à imposer une obligation de divulgation aux entreprises afin de « lutter » contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement mondiales. Selon des experts des droits humains et du domaine du travail, la future loi contribuera peu ou pas du tout à l’atteinte de cet objectif.
Voici certains commentaires tirés des témoignages de ces experts devant le comité parlementaire ou de leurs textes d’opinion publiés au courant de la dernière année.
« Au mieux, les lois de divulgation sensibilisent l’opinion publique. Au pire, elles ne constituent qu’une façade où la divulgation se substitue aux mesures correctives. […] Le temps des modestes premiers pas est révolu. Il ne suffit pas d’obliger les entreprises à faire rapport. Il est temps de les contraindre à agir et à exercer une diligence raisonnable à l’égard du problème du travail des enfants et du travail forcé [...]. »
- Judy Fudge, juriste et titulaire de la chaire de recherche LiUNA sur les enjeux mondiaux du travail à l’Université McMaster, dans Policy Options/Options politiques
« [Des entités] peuvent satisfaire à leurs obligations prévues dans le projet de loi en déclarant simplement qu’elles n’ont pris absolument aucune mesure pour atténuer ou prévenir les atteintes aux droits de la personne. […] la nécessité d’adopter des lois qui s’attaquent réellement au problème, et non seulement des lois qui visent à recueillir de l’information. » - Nicole Barrett, directrice, International Justice and Human Rights Clinic, Peter A. Allard School of Law, Université de la Colombie-Britannique, dans son témoignage au sénat
« […] si le projet de loi S-211 devient loi, il aura peu d’incidence sur le problème du travail forcé ou du travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement des entreprises canadiennes. Et cela […] parce qu’il reproduit essentiellement le contenu de la loi du Royaume-Uni sur l’esclavage moderne, qui s’est révélée inefficace. Lors de son adoption en 2015, cette loi était considérée comme avant-gardiste. Or, des études ont démontré depuis qu’en fin de compte, elle n’a pas amené les entreprises à effectuer les changements de comportement systémiques requis pour éradiquer le problème, même dans les zones à risque élevé. » - Barnali Choudhury, professeure à la Osgoode Hall Law School et directeur du Nathanson Centre on Transnational Human Rights, Crime & Security, dans le Toronto Star
« Le projet de loi n’oblige pas les entreprises à s’assurer qu’il n’y a aucun travail forcé dans leur chaîne d'approvisionnement. Celles-ci peuvent se voir imposer des amendes si elles fournissent de l’information fallacieuse ou trompeuse. Cependant, elles ne sont pas tenues de divulguer si leur chaîne d’approvisionnement recourt ou non au travail forcé ou au travail des enfants. Elles doivent uniquement faire rapport sur les politiques et les mesures prévues, s’il y a lieu, pour réduire le risque de travail forcé ou de travail des enfants […]. » - Penelope Simons, professeure et titulaire de la chaire Gordon F. Henderson en droits de la personne, Faculté de droit et Centre de recherche et d’enseignement sur les droits de la personne de l’Université d’Ottawa, dans une analyse présentée en février 2023
« Je peux vous assurer, sénatrices et sénateurs, que ce projet de loi ne parviendra pas à prévenir l’esclavage moderne… À l’échelle internationale, l’outil reconnu pour prévenir les effets néfastes sur les droits de la personne, y compris l’esclavage moderne, dans ce cas, est l’exercice continu et rigoureux de la diligence raisonnable en matière de droits de la personne. » - Surya Deva, ancien président du Groupe de travail de l’ONU sur les entreprises et les droits de l’homme, dans son témoignage au sénat
Les experts universitaires qui ont témoigné devant le comité parlementaire ont recommandé des amendements majeurs qui auraient transformé le projet de loi S-211 en loi de diligence raisonnable. Malheureusement, aucun de ces amendements n’a été retenu. On se retrouve donc avec un projet de loi si faible que des dizaines de groupes membres du Réseau canadien sur la reddition de compte des entreprises ont exhorté les législateurs à voter contre son adoption.