Par Karen Hamilton, directrice d’Above Ground et Shawn Katz, agent des communications d’Above Ground | La version anglaise de cet article a été publié dans The Hill Times
Le commissaire fédéral à l’environnement a récemment constaté que la performance du Canada en matière de lutte contre les changements climatiques est la pire de tous les pays du G7 depuis la signature de l’Accord de Paris en 2015. Cette situation est attribuée en partie à l’« incohérence des politiques » du gouvernement, par exemple l’investissement dans le projet d’agrandissement du pipeline de Trans Mountain.
Ces investissements s’inscrivent dans la tendance bien ancrée du gouvernement fédéral de soutenir fortement les sociétés pétrolières et gazières, surtout par l’intermédiaire de son organisme Exportation et développement Canada (EDC). Selon les derniers chiffres, ce soutien, qu’Ottawa ne considère pas comme une subvention, s’est établi en moyenne à 13,6 milliards de dollars par année entre 2018 et 2020, ce qui a fait du Canada le plus grand fournisseur de fonds publics pour les combustibles fossiles au sein du G20. Seuls le Japon, la Corée du Sud et la Chine fournissaient presque autant de soutien que le Canada.

Le gouvernement a récemment reconnu le problème et s’est engagé à « élaborer un plan » pour éliminer progressivement le financement public du secteur des combustibles fossiles.
Lors de la conférence des Nations Unies sur le climat (COP26) en novembre 2021, le Canada s’est joint à plus de 30 pays en s’engageant à éliminer une partie de ce financement — le « soutien direct » du secteur « traditionnel » de l’énergie fossile d’ici la fin de cette année à l’échelle internationale. Il demeure toutefois des incertitudes quant à la façon dont Ottawa définira les termes clés utilisés – notamment le terme « traditionnel » (unabated en anglais), ce qui semble indiquer qu’un soutien à des projets comportant un captage du carbone pourrait continuer. Le gouvernement n’a pas encore défini non plus les « circonstances restreintes » pouvant faire l’objet d’autres exceptions.
Ce qui ne fait aucun doute, c’est que cet engagement visera une fraction seulement du financement des combustibles fossiles par le Canada, soit environ un milliard de dollars, selon une estimation préliminaire du gouvernement. Ceci laisse intactes les énormes sommes que le gouvernement fournit à l’industrie au Canada, qui au cours des dernières années comprenaient des milliards en prêts au titre de projets tels que les pipelines Trans Mountain et Coastal GasLink.
Le ministre des Ressources naturelles a déclaré en novembre qu’un échéancier d’élimination du financement des combustibles fossiles au Canada serait annoncé au cours des prochains mois. Il collabore avec les ministres des Finances et de l’Environnement pour préciser les détails du plan d’élimination progressive d’Ottawa.
Cet échéancier doit à tout le moins refléter la même urgence que l’engagement pris à l’occasion du COP26. L’Agence internationale de l’énergie a déclaré qu’aucun nouveau champ de pétrole ou de gaz ne peut être exploité si le monde veut maintenir le réchauffement planétaire sous la barre du seuil critique de 1,5 degré Celsius. Selon une étude publiée récemment dans la revue Nature, le Canada doit laisser environ 83 pour cent de ses réserves de combustibles fossiles inexploitées pour que le monde ait même une chance sur deux d’atteindre cet objectif.
Malgré cela, Exportation et développement Canada ne prévoit pas de mettre fin à son soutien aux combustibles fossiles. Il s’est engagé envers une réduction modérée de son soutien à l’exploration et la production pétrolières et gazières, mais reste libre de poursuivre ou même d’augmenter son appui à des pipelines ou des raffineries.
Les répercussions des engagements d’Ottawa à l’égard de son financement des combustibles fossiles au pays et à l’étranger, dépendront donc du rythme et de la rigueur de la mise en œuvre et, tout particulièrement, de la présence d’échappatoires dans le plan du gouvernement qui permettraient à EDC de continuer à appuyer les sociétés de combustibles fossiles.
Le fait de reconnaître une « urgence climatique », comme l’a fait le Parlement, suppose qu’il n’y ait aucun soutien pour de nouvelles raffineries ou de nouveaux pipelines, que ce soit pour le pétrole ou le gaz.
Cela veut dire qu’il ne peut y avoir aucune échappatoire permettant de soutenir des sociétés pétrolières et gazières qui promettent simplement de capter leurs émissions émanant de la production. Dans une lettre envoyée récemment à la ministre des Finances, des centaines d’experts du climat canadiens avertissent que le captage du carbone n’est « ni économiquement viable ni prouvé à grande échelle » [traduction], et qu’il est utilisé pour accroître la production de pétrole, ce qui entraîne une augmentation des émissions globales lorsque le pétrole est brûlé.
Le captage du carbone ne contribue pas du tout à éliminer les émissions en aval qui représentent 80 pour cent des émissions de pétrole et de gaz. Loin d’être une solution climatique, cette technologie « prolonge notre dépendance à l’égard des [combustibles fossiles] au moment où il faut éliminer progressivement l’utilisation de combustibles fossiles pour prévenir des changements climatiques catastrophiques » [traduction], disent les experts.
Le moment est venu de mettre fin aux demi-mesures climatiques du Canada. Ottawa doit mettre en œuvre une élimination progressive, rapide et complète de tout le soutien financier de l’État de l’exploitation des combustibles fossiles, quels qu’ils soient, au Canada et ailleurs.