le 5 janvier 2023

Une lettre d’opinion par Georgina Alonso, agente de programme à Above Ground, et Amélie Nguyen, coordinatrice du Centre international de solidarité ouvrière (CISO), publiée dans Le Devoir


Les conditions de travail inacceptables sont omniprésentes dans la pêche mondiale. On parle notamment d’exigences physiques extrêmes pendant de longues heures, sans nourriture ni eau adéquates, de coercition par le biais d’accords de travail trompeurs ou mensongers, d’un salaire faible (voire inexistant) et même de violences physiques, psychologiques et sexuelles.

Dans certains cas, il s’agit carrément de travail forcé.

En l’absence de réglementation efficace, il est inévitable que des fruits de mer produits dans ces conditions se retrouvent dans les assiettes des Canadiens. Pourtant, le Canada ne fait pas grand-chose pour garantir que les fruits de mer que nous importons soient produits sans violations aux droits de la personne.

En 2022, le Comité permanent des pêches et des océans a produit un rapport recommandant que le gouvernement fédéral mette en oeuvre un programme de traçabilité « du bateau à l’assiette », arguant que cela aiderait à recenser les problèmes qui existent au long de la chaîne d’approvisionnement. Cependant, aucun projet de loi n’a été présenté au Parlement en ce sens, et les consommateurs sont laissés dans l’ignorance.

Contrairement au Canada, certains pays prennent des mesures pour lutter contre les violations des droits de la personne dans les chaînes d’approvisionnement des fruits de mer.

Des mesures desquelles s’inspirer

En juillet 2022, les États-Unis ont pris des mesures pour bloquer les importations de fruits de mer issus d’un travail abusif. Si les importateurs souhaitent continuer à approvisionner les marchés américains, ils devront cesser de s’approvisionner en fruits de mer issus d’activités illégales et nuisibles, y compris le travail forcé et d’autres pratiques inacceptables. Il s’agit de l’un des rares efforts visant à bloquer les importations de produits de la pêche illicite, non déclarée et non réglementée qui porte une attention explicite aux abus en matière de travail.

Le gouvernement canadien n’a pris aucune mesure similaire. Au lieu de cela, le Canada contribue à ces abus en ignorant ce qui se passe avant l’arrivée des fruits de mer sur les marchés canadiens.

De nombreux Canadiens peuvent être surpris d’apprendre qu’en vertu du nouvel accord de libre-échange avec le Mexique et les États-Unis, il est déjà illégal d’importer au Canada des biens produits par le travail forcé. Cependant, « l’interdiction d’importation de produits issus du travail forcé » n’est pas suffisamment mise en oeuvre. Depuis son entrée en vigueur en 2020, une seule expédition de marchandises a été saisie en vertu de cette interdiction. Elle a ensuite été libérée après que l’entreprise eut contesté la décision.

L’application effective de l’interdiction serait un pas essentiel dans la lutte contre les atteintes aux droits de la personne dans les chaînes d’approvisionnement en fruits de mer du Canada.

Le Canada doit également prendre des mesures supplémentaires pour lutter contre le travail forcé et les autres abus dans le domaine de la pêche en imposant aux entreprises des obligations de diligence raisonnable en matière de droits de la personne et de l’environnement, comme le ferait le projet de loi C-262. En vertu de cette loi, les entreprises seraient tenues de prévenir et de traiter les impacts négatifs sur les droits de la personne et sur l’environnement dans leurs chaînes d’approvisionnement, et seraient tenues d’y remédier.

Cela obligerait les importateurs canadiens — y compris les importateurs de fruits de mer — à prendre des mesures rigoureuses pour débarrasser leurs chaînes d’approvisionnement d’abus comme le travail forcé sous peine d’être tenus responsables devant les tribunaux canadiens.

En revanche, le projet de loi S-211 exige simplement que les entreprises rendent compte des risques liés au travail forcé et au travail des enfants, sans exiger de changements dans les activités d’une entreprise. Le Parlement adoptera probablement la loi au début de 2023.

Une approche proactive

Une loi efficace de diligence raisonnable obligatoire en matière de droits de la personne et de l’environnement reconnaîtrait au contraire le large éventail de droits du travail auquel des pêcheurs peuvent s’attendre, et ne se contenterait pas de lutter contre les abus extrêmes.

Une approche proactive pour assurer des chaînes d’approvisionnement éthiques signifierait un travail décent pour les travailleurs de la pêche plutôt qu’une simple absence des pires abus. En outre, elle donnerait une voix aux travailleurs concernés, en facilitant leur accès aux tribunaux canadiens pour défendre leurs droits.

Le Canada doit répondre aux demandes des travailleurs de la pêche du monde entier et cesser d’être complice de pratiques de travail nuisibles et d’autres abus dans l’industrie. Pour démontrer un engagement sérieux envers cet objectif, il ne suffit pas de faire des déclarations vertueuses, d’adopter des lois inefficaces et de signer des accords internationaux non contraignants.

Il est temps de mettre en oeuvre l’interdiction d’importation de produits issus du travail forcé et de mettre en oeuvre une législation sur la diligence raisonnable obligatoire en matière de droits de la personne et de l’environnement. Ces mesures permettraient de soutenir les travailleurs de la pêche — et tous les travailleurs — impliqués dans les chaînes d’approvisionnement canadiennes.

Share